Conférence de Tun Ken Wong

Se détendre est une notion connue, souvent associée au calme mental, mais on ne comprend en fait pas bien cette notion.

Pour les chinois, il y a une autre façon de la comprendre : ce que nous appelons se détendre c’est lâcher, abandonner, s’affaisser, laisser tomber, en fait quitter le corps. Pour les chinois détendre c’est au contraire ouvrir le corps et non le réduire. Quand on relâche certaines zones du corps en les affaissant, cela en resserre d’autres, qui sont comme bouchées, et ainsi le sang circule mal. En fait détendre consiste à remettre les choses à leur place afin de récupérer de l’espace entre les tissus.

Détendre a aussi un aspect psychologique, corps et esprit doivent être détendus ensemble ; en effet le stress bloque l’esprit : on ne sait plus bien penser rationnellement, et les muscles suivent et se crispent. Le stress peut venir soit du corps tendu soit de la tension émotionnelle, les deux se gênent l’un l’autre.

Physiquement on peut dire qu’on est bloqués depuis l’enfance, et ceci par habitude : on n’a pas conscience de nos contractions parce que nous y sommes habitués. Par exemple lever la main coince l’épaule : comme pour tout geste on a l’habitude de contracter d’abord l’épaule, puis le coude puis le poignet puis la main. Or lever l’épaule bloque les muscles du thorax, ce qui entrave les poumons et empêche la bonne circulation, ce qui entraîne la fatigue. Alors qu’en qi gong on relâche les articulations du bras afin que seule la dernière articulation de la main le fait bouger ; un seul point travaille, ainsi le mouvement est léger et le sang circule bien. (voir plus bas)

Pour le dos c’est pareil, nous sommes tendus surtout dans la zone lombaire qui est crispée par habitude en position debout, on s’y habitue mais en vieillissant on ressent plus ces tensions.

La pratique du qi gong aide à dénouer, mais ne suffit pas à changer profondément ces tensions.

En fait c’est notre façon de bouger qui doit changer ; ce qui fait que l’essentiel dans notre pratique doit être avant tout d’apprendre une nouvelle façon de bouger le corps : le corps doit connaître par lui-même.

Le qi gong doit être travaillé dans la détente et la lenteur ; si on reste contracté, cette lenteur même bloque et  accentue encore les contractions et on sort de la séance encore plus fatigué…

Explication « chinoise » : le Qi, énergie invisible mais vitale, circule avec le sang dont il n’est pas séparé, et comme lui doit circuler librement et abondamment pour qu’il y ait bonne santé. Si son flux est ralenti, la santé se dégrade. L’idée est que si on laisse le corps libre de bouger et de travailler sans l’entraver, tout circule bien ; il ne faut pas le bloquer, surtout de façon constante, car cela casse son rythme. Quand le corps se dénoue et redevient normal, le cerveau se renforce et retrouve sa capacité à équilibrer l’organisme, à se réorganiser, à s’auto-guérir ou se défendre ; nous avons la même capacité d’auto-guérison que les animaux. Mais si le cerveau est tendu, bloqué, il n’a plus cette capacité ; libérer le cerveau l’ouvre et lui permet de retrouver cette capacité. C’est ainsi que la méditation vraie, non distraite et non endormie, agit sur la santé.

Le corps aussi redevient à son état normal par la détente : car la crispation est naturelle dans certaines réactions : se resserrer pousse le corps à l’action ; mais elle ne doit pas dépasser certaines limites : si cet état de tension est constant ou excessif, la limité est franchie (de même il y a une limite à ne pas dépasser quand on se nourrit : 80% de la capacité de l’estomac suffit à nous nourrir, le reste est de la gourmandise ou de l’habitude) ; ainsi il faut un certain courage et de la persévérance pour découvrir cette limite et apprendre à ne pas la dépasser ; c’est pourquoi il ne suffit pas de pratiquer le Qi gong une fois par semaine, il faut surtout utiliser le corps dans sa vie quotidienne selon la façon apprise en Qi gong, dans les actions quotidiennes, la marche, etc ; c’est la façon de bouger qu’il faut changer ; apprendre une nouvelle façon de bouger, c’est le plus important.

Mais bouger en détente demande d’y penser régulièrement et de vérifier souvent notre état de contraction : ainsi petit à petit on peut changer notre habitude et améliorer notre qualité de vie en diminuant la fatigue ; car une action faite dans la détente diminue la dépense d’énergie ; la sensation du corps change, on se sent léger. Il n’est pas ici question de longévité mais simplement de santé, afin de vivre bien et ne pas être empêché de bouger comme on le veut et en utilisant le moins de force possible, donc avec le moins de fatigue possible.

La première chose à réaliser est de changer sa position ; en effet calmer l’esprit ou lâcher les muscles ne suffit pas : lâcher une zone peut en tasser une autre, la bloquer, serrer, tirer, ralentir, y couper ainsi la circulation, ce qui coince encore plus le corps. En position debout, la force de gravité nous tire vers le bas, or le sang a besoin d’une certaine pression pour monter au cœur ; quand les muscles des jambes sont forts, ça va, mais si les muscles sont faibles le sang monte mal et le cœur finit par s’affaiblir. Construire la posture, la structure, c’est permettre l’ouverture à la bonne circulation, c’est réorganiser le squelette, la charpente, afin que le corps soit assez fort sans avoir besoin de force musculaire pour l’aider à tenir debout, et c’est aussi libérer l’espace entre les tissus.

Les mauvaises positions de travail fatiguent et usent les articulations sollicitées, menant par exemple à l’arthrose de la nuque ; changer cela se fait en diminuant la tension excessive des muscles. Ainsi la tête est lourde et elle est tenue aux vertèbres par des ligaments ; si elle tire dessus par une mauvaise position, cela fatigue et finit par user ces ligaments, menant à l’arthrose. Changer son alignement c’est diminuer la tension des muscles.

En réalité deux points en haut et en bas de la colonne (sommet de la tête et coccyx) construisent une ligne, ainsi au milieu c’est vide ; quand on est aligné ainsi c’est agréable à ressentir car on est en équilibre entre l’avant et l’arrière ainsi qu’entre la gauche et la droite. L’avant et l’arrière sont égaux en poids, le haut et le bas aussi, le tronc est comme un ballon ; tout est léger, comme s’il n’y avait pas de corps ; mais il ne suffit pas de sentir cela en posture immobile : si en marchant on re-cambre tout se resserre ; il faut apprendre à construire et à utiliser la juste posture dans la vie de tous les jours, et sentir la différence.

Si on est bien aligné, on peut marcher légèrement et sans fatigue ; vérifier cela souvent et chaque jour fait changer l’habitude dans le corps, et cela ne prend pas de temps supplémentaire dans les actions : il s’agit de libérer le corps, ce n’est pas compliqué, il suffit de le vouloir.

Plusieurs vérifications sont ainsi à faire :

  • La position de la tête: le menton est souvent soit penché soit levé, soit encore tourné d’un côté ; il suffit de lâcher le menton pour sentir que le point à l’arrière de la tête remonte vers le ciel ; juste libérer un peu, en s’aidant par exemple en posant la main sur l’articulation de la mâchoire ; on peut vérifier aussi la courbure de la gorge qui doit rester arrondie, ni pliée ni tendue, car rond est ouvert, alors que plié est fermé ; on peut aussi s’aider de la nuque où on doit sentir une ouverture, un léger étirement, les vertèbres juste attachées l’une à l’autre.
  • La position du bassin: celui-ci se bloque en trois endroits : les deux hanches (articulations du fémur) et l’articulation sacro-lombaire ; si on lâche ces trois points, le bassin n’est plus tiré mais il descend et rentre un peu vers l’avant, les fesses rentrent naturellement et le ventre aussi ; il ne s’agit pas de commander les muscles mais de libérer et de relâcher en expirant ; sentir que sortir les fesses re-crispe le dos ; vérifier à la marche et s’entrainer à « marcher droit »…
  • Comment procéder : indications pour la posture statique:
  • d’abord la tête doit être comme suspendue, et non pas tirée ou poussée vers le haut (si on pousse la tête cela bloque le cou)
  • Puis aussitôt le premier mouvement est de s’asseoir en lâchant la taille (c’est le premier mouvement quand on s’assoit réellement, avant de plier les genoux et de baisser les fesses). Lâcher la taille fait lâcher les hanches mais en restant suspendu par la tête: vérifier que quand on se lâche dans le bassin la tête ne descend pas en hauteur ; la sensation est d’avoir la tête ni plus haute ni plus basse, et le bassin juste accroché, suspendu aux vertèbres, vivant, mobile, comme suspendu dans l’air, non écrasé. En effet les fémurs peuvent rester légers si le bassin ne s’écrase pas dessus et ne les bloque pas, l’un et l’autre sont seulement en contact. Sinon on est posé sur les jambes qui sont de ce fait lourdes ; car écraser c’est bloquer.
  • Donc d’abord suspendre la tête, puis lâcher le bassin, ce qui crée deux directions opposées (haut et bas) et crée l’équilibre : le bas descend, le haut reste sur place, il y a relation par la colonne, et les vertèbres sont étirées simplement par la position : le bassin par son poids tire sur les ligaments des vertèbres qui s’étirent l’une sur l’autre en s’ouvrant, ainsi toute la colonne s’ouvre, les muscles s’étirent et de l’espace se gagne à l’intérieur : le corps s’ouvre vers le haut et vers le bas et grandit de l’intérieur, et le sang circule bien.
  • Il y a aussi ouverture en largeur : le poumon a de l’espace, il est tranquille et libre, et le diaphragme peut bouger librement ; en effet si le diaphragme est bloqué, la poitrine n’a pas assez de place et le poumon ne peut pas bien s’ouvrir ; car le poumon est plus large en bas qu’en haut ; s’il ne peut pas descendre, il y a moins d’oxygène qui peut entrer ; s’il est ouvert en bas, son volume augmente et l’oxygène peut entrer en plus grande quantité. Si on libère la poitrine et laisse descendre le diaphragme, le poumon peut s’abaisser et s’ouvrir, le rythme de respiration se ralentit et il y a moins de fatigue car moins besoin de reprendre de l’oxygène souvent (essouflement) ; de plus si le poumon est calme le cœur l’est aussi, son travail est doux et fort ; tout cela juste par la position du tronc qui grandit de l’intérieur.
  • relâcher la poitrine : lâcher la poitrine ce n’est pas l’affaisser, mais lâcher deux points sous les clavicules, ce qui ouvre la poitrine au lieu de la réduire ; l’espace grandit ; cela écarte aussi un peu les omoplates et ouvre le dos, libérant les muscles dorsaux.
  • Remplir les jambes: si je suis posé qu’en partie sur mes jambes, le poids à l’arrière part derrière les talons et tombe vers l’extérieur, et on doit serrer les muscles pour se retenir et tenir debout. Si on lâche le bassin, 100% du poids du corps passe par le fémur jusqu’au sol ; et les muscles des jambes ne sont pas nécessaires pour garder notre équilibre. On doit sentir une ligne verticale allant de la tête aux pieds et veiller à ne pas la faire dévier, ainsi on évite les tensions.

S’exercer dans le mouvement :

  • S’exercer dans la marche: ou ne pas utiliser les jambes : tête suspendue, bassin lâché, se laisser tirer comme par le nombril en avant, comme tiré par un fil ; le corps suit le nombril, puis les jambes suivent le corps. Dans la vie habituelle on fait le contraire, commençant par les jambes qui tirent le corps, ayant ainsi besoin d’utiliser la force musculaire et occasionnant la fatigue ; or les jambes doivent être légères, pour cela on ne doit pas utiliser leur force.
  • S’exercer dans les gestes ou ne pas utiliser les bras : dans le mouvement on peut utiliser la détente plutôt que la force musculaire : si je plie volontairement le bras, je tire aussi pour l’étirer ; c’est un travail actif, volontaire. Il s’agit de s’entrainer à faire ce geste passivement : tendre le bras et sentir les muscles antagonistes, opposés du bras comme égaux en force, équilibrés, puis relâcher et libérer le muscle extérieur, ce qui fait s’ouvrir le muscle intérieur qui se libère car il ne résiste pas : lâcher l’un libère l’autre, ainsi la détente entraine le mouvement ; la ligne du bras, toujours arrondie, ne doit jamais être cassée ni pliée par un angle. Elle comprend quatre points : épaule, coude, poignet, main ; il s’agit de libérer les trois premiers en commençant par l’épaule, afin de laisser agir le dernier point où on met la force dans la paume (doigts relâchés) ; ainsi on ne bloque pas le bras comme on le fait automatiquement, le bras est léger, seule ma main travaille. Retrouver cela dans tous les gestes, en commençant à s’exercer dans la lenteur. Sentir que de cette façon l’épaule reste à sa place quand la main monte : en effet on peut distinguer une partie de l’épaule qui est du côté du bras qui suit la main, alors que l’autre partie qui est du côté du corps ne bouge pas, laissant ainsi calme le reste du corps. Lâcher-monter, puis lâcher-descendre, plusieurs fois